Boutros BOUTROS-GHALI Secrétaire général de l'Organisation
internationale de la Francophonie
Monsieur le Président de
la République, Excellences, Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement
heureux d'être parmi vous, aujourd'hui, à Skopje, à l'occasion de cette
grande conférence internationale consacrée aux Balkans. Mes premiers mots veulent
donc alter vers son Excellence le Président de la République pour le
remercier chaleureusement, en tant que Secrétaire général de l'Organisation
internationale de la Francophonie, de sa cordiale hospitalité. Et salver
le rôle toujours plus actif que joue la Macédoine au sein de notre Communauté. L'espoir de voir, enfin,
les peuples des Balkans, goûter une paix durable! L'espoir de voir, enfin,
les peuples des Balkans travailler à la reconstruction économique, sociale
et politique de leurs pays, dans des frontières reconnues. L'espoir de voir, enfin,
les peuples des Balkans, vivre leurs différences en parfaite harmonie,
dans un esprit de tolérance, de dialogue et de liberté. C'est dire toute l'importance
de cette conférence, à l'approche originate, puisqu'il s'agit d'envisager
le renouveau des Balkans sous l'angle de la science et de la culture. Une approche originate et réaliste, car j'ai la conviction qu'ici, comme ailleurs, la négociation, le dialogue, la méditation doivent toujours l'emporter sur les solutions militaires. Une approche, aussi, qui
s'inscrit Bans le droit fil des ambitions de l'Organisation Internationale
de la Francophonie qui, par-delà la promotion de la langue française,
milite, plus largement, en faveur du respect de la diversité culturelle
et linguistique, en faveur de l'instauration d'un véritable dialogue
entre les cultures. Parce qu'il s'agit là d'un
enjeu politique, économique, social et culturel pour tous. L'interdépendance entre
les hommes, les sociétés, les espaces est, en effet, désormais la norme. Les mutations scientifiques
et techniques, la globalisation économique et financière, la circulation
instantanée de l'information ont précipité l'humanité vers une communauté
de destin. Est-ce à dire, pour autant,
vers un destin commun? Loin s'en faut! J'en veux pour preuve l'aggravation
des inégalités et de la pauvreté dans le monde! J'en veux pour preuve la
ségrégation numérique que l'on voit s'instaurer entre les nantis de
l'information et les autres! J'en veux pour preuve le
risque d'hégémonie de quelques puissances sur l'élaboration des normes
ou des décisions qui engagent l'avenir de la planète! Le risque, aussi, de soumission
des économies locales à des stratégies industrielles conçues ailleurs,
et qui ont peu de relations avec les besoins réels des pays. Le risque, enfin, de monopole
de quelques acteurs-privés ou publicssur la fabrication d'un imaginaire
uniforme. Sur la diffusion de modes standardisés d'être, de se comporter,
de consommer, de penser, de créer. En d'autres termes, alors
que les échanges internationaux s'amplifient, les États, mais aussi
les citoyens ont de plus en plus le sentiment de se voir confisquer
la gestion du monde et de se voir imposer une «monoculture». Face à cette perte de décision, à cette perte de repères, à cette perte d'identité, grande est la tentation de se replier sur soi-même, de se cristalliser sur les valeurs sécurisantes et figées du passé, dans un climat d'intolérance qui confine parfois au fanatisme, à la haine et au rejet de l'Autre. Et si l'on veut éviter que
la guerre froide d'hier ne se mue en un affrontement culturel, attisé
par d'amples mouvements de migrations internationales, il faut, au sens
large du terme, démocratiser la mondialisation avant que la mondialisation
ne dénature la démocratie. C'est dire instaurer au
plus vice, et entretenir, entre ces espaces potentiels d'affrontement,
un dialogue et une coopération. Car j'ai la conviction que
les grandes aires culturelles et linguistiques constituent, aussi, des
espaces privilégiés de solidarité qui, lorsqu'ils se rencontrent et
s'entremêlent, sont les meilleurs garants de la démocratie, de la paix
et du développement. Le dialogue entre les cultures
n'a donc rien d'éthéré. II s'agit d'un véritable
projet de société à l'échelle de la planète! Un projet de société où
les cultures se complètent et ne s'excluent pas, où elles se renforcent
et ne se diluent pas, où elles se rassemblent sans pour autant se ressembler. Avec, pour ultime objectif,
un monde véritablement multipolaire, respectueux des plus vulnérables
et de leur droit à la solidarité, respectueux des langues, des cultures,
des traditions, respectueux dune gestion véritablement démocratique
des relations internationales. Mais cela suppose que l'on
reconnaisse que la diversité culturelle mondiale est une condition préalable
pour instaurer un dialogue réel entre les peuples. Que l'on reconnaisse que
la culture nest pas une exception, mais qu'elle est au fondement de
la civilisation. Qu'elle ne se limite pas
aux arts et à la littérature, mais qu'elle englobe tons les aspects
de la vie dans sa dimension spirituelle, institutionnelle, matérielle,
intellectuelle et émotionnelle, ainsi que la diversité du tissu social. Que l'on reconnaisse que
culture et développement sont indissociables, sans pour autant se limiter
à une approche strictement commerciale et économique de la culture. Cette déclaration d'intention
nécessite la mise en oeuvre de stratégies communes aux cinquante-cinq
États et gouvernements francophones, mais aussi compatibles avec les
intérêts et les attentes de toutes les autres communautés. C'est tout
l'enjeu du prochain Sommet de la Francophonie qui se tiendra, à Beyrouth,
en octobre 2001 . Car la Francophonie a très
tôt compris le rôle qu'elle pouvait jouer, tant au sein de son espace
institutionnel, que dans les enceintes internationales, parce qu'elle
reconnaît d'emblée la pluralité et la complexité den identités culturelles
den pays qui la component. A cet égard, l'élargissement
de l'espace francophone aux pays de l' Europe centrale, orientate et
balte, depuis 1991, est le gage d'un élan nouveau sur la vole de la
diversité. Car il serait illusoire
de penser que la Francophonie sera capable d'avancer une alternative
au danger de nivellement linguistique et culturel, sans l'apport de
la moitié dune Europe continentale qui s'ouvre justement au monde et
qui revendique précisément une identité autonome. Aujourd'hui, ce sont neufs
pays qui ont fait le choix, de rejoindre notre communauté: l'ex-république
yougoslave de Macédoine, bien sûr, main aussi la Roumanie, la Bulgarie,
la Moldavie, l'Albanie, la Pologne, la Lituanie, la Slovénie, la République
tchèque. Ces pays offrent à la Francophonie
une dimension nouvelle, taut sur le plan culturel, économique que politique. Celle d'économies émergeantes,
qui noun invitent, au plus grand bénéfice de tous, à enrichir notre
espace de coopération. Je suis convaincu, à cet égard, que noun aeons
un champ nouveau de coopération, riche de possibilités, à développer
entre l'Est et le Sud, le Nord et l'Est. Celles de démocraties rétablies.
Et je voudrais saisir cette occasion pour salver la participation active
des pays de l' Europe centrale et orientate, tant daps la préparation
que dans le déroulement du Symposium, organisé à Bamako, en novembre
2000, sur le bilan den pratiques de is démocratie, des droits et den
libertés Bans l'espace francophone. Et dire combien leur expérience
et leur expertise ont contribué à enrichir utilement les débuts. Par
ailleurs, au moment de l'élargissement de cette autre grande Communauté
quest l'Union européenne, j'ai la conviction que la langue française
est à même de créer, au sein de l'espace européen, des solidarités nouvelles,
à l'image de celles qui ont cimenté la grande famille francophone depuis
trente ans. II faut, à cet égard, que prenne forme une véritable stratégie dalliances linguistiques entre les différentes communautés. Sinon l'Europe risquerait bien de céder à la commodité du «tout anglais» de peur de sombrer daps la «babelisation». Mais qui dit stratégie dalliances
linguistiques dit, aussi, volontarisme. C'est dire qu'il revient
à chaque pays de la Francophonie de veiller au renforcement et au rayonnement
du français, tant au plan régional que Bans les organisations internationales. En retour, la coopération
multilatérale francophone à la responsabilité de les alder à atteindre
ces objectifs. Excellences, Mesdames, Messieurs, C'est ce message que je
suis venu vows délivrer, aujourd'hui, celui du dialogue fructueux, de
la diversité réconciliée, de la paix durable. Une autre manière de vous
dire que je m'associe pleinement à l'élan d'espoir qui vous anime pour,
qu'enfin, dans cette région, se taisent, les armes Pour qu'enfin cesse la violence! Pour qu'enfin les Balkans,
à l'aube de ce nouveau millénaire, tournent définitivement la page dune
histoire tragique pour exalter toute la richesse et toute la grandeur
des peuples qui ont fait et qui font leur génie. Je vous remercie. |