'           EURO-MEDITERRANEAN CONFERENCE

            THE ROLE OF CULTURAL DIVERSITY

            ON THE THRESHOLD OF THE THIRD MILLENNIUM            1AMMAN, OCTOBER, 10-10,2000

 

 

 

 

SESSION FIVE : The dialogue between cultures and civilisation

 

Intervention de Monsieur le Professeur Mohamed KNIDIRI

Recteur de fUniversité Cadi Ayyad, Marrakech,

Royaume du Maroc

 

 

 

MOBILITE DES HOMMES ET DIVERSITE CULTURELLE

 

 

 

Je suis personnellement enchanté de participer au Sème thème de cette conférence euro-méditerranéenne où je constate que les organisateurs ont réussi une concentration de Recteurs et Présidents d'Universités.

 

C'est donc en famille que nous débattrons du dialogue entre les cultures et entre les civilisations au seuil du IIIème millénaire, avec nos illustres amis intervenants daps cette Sème session.

 

Dialogue entre Cultures et entre Civilisations, tout un programme et il serait prétentieux que de penser en cerner les contours.

 

Je me contenterai pour ma part, d'essayer d'aborder le dialogue entre les cultures mais, avant de parley du dialogue des cultures, il faudrait que l'on soit en accord sur les définitions à adopter.

 

Je m'attacherai à la définition du mot Culture relative, non pas seulement aux arts, à la littérature ou à la poésie mais plutôt à la manière de vivre des hommes; comprenant (ensemble des manifestations de la vie et de (esprit chez un peuple.

 

Au seuil du IIIème millénaire, les plus grandes différences entre les hommes résident dans leur façon de vivre, en interaction avec leur milieu naturel, en harmonie avec leurs semblables au sein de sociétés dont ils ont définis les codes, les hiérarchies, les droits et devoirs et autres règles nécessaires à la cohésion du groupe, avec ce que (ensemble de ces facteurs pent traduire au niveau spirituel. Nous atteignons ainsi un degré de diversité incommensurablé, qui, cependant s'intègre Bans une universalité humaine acceptée de tous, autour de valeurs communes.

 

L'Universalité et la diversité ne doivent pas être considérées comme antagonistes mais plutôt comme les résultats de multiples interdépendances. En encourageant et en développant ces interdépendances nous édifions ensemble les remparts contre la xénophobie, l'exclusion, le racisme.

 

Nous sommes aujourd'hui au coeur de sociétés matérialistes et nous constatons quotidiennement ce qu'il en résulte. La sérénité n'existe nulle part. Elle ne saurait être espérée que par finterdépendance des pays en général et des Cultures en particulier.

 

Si nous aspirons à une universalité sereine, à un monde meilleur, les riches doivent poser un autre regard sur les pauvres ; nous devons développer la fraternité entre les hommes, le respect de la liberté, la protection de la paix et rejeter la cruauté et l'arbitraire, en s'attachant à défendre les causes justes.

 

En méditerranée nos mondes ont tant de fois affronté leurs impérialismes et leurs commerces et mêlé leurs cultures ; ils se sont si souvent conquis et reconquis que l'on ne retrouverait point de pages daps leurs chroniques respectives où fautre ne figure dans un coin, maléfique ou tentateur, rarement indifférent. Constamment mêlés et demeurés distincts, tout les sépare : religion, langue, costume, écriture même et chacune de leurs grandes aventures les réunit. Its ont réussi à faire de tous leurs sites historiques autant de carrefours commerciaux, culturels ou guerriers. Il est peu de terres, peu de mers et peu de fleuves qui puissent autant que les nôtres livrer les secrets d'antagonismes passionnés ou de fascinations paradoxales. S'il est quelque endroit où fon puisse déchiffrer la formule qui transforme l'affrontement des cultures en un enrichissement mutuel tout indique que c'est dans nos histoires entrelacées et dans nos présents tumultueux.

 

Le passé le plus lointain nous 1e garantit. Nous n'avons cessé de nous épier, de nous mesurer et en somme de nous modeler les uns sur les autres. Le Nord, le Sud et l'Est du bassin méditerranéen ont de tout temps servi dans notre champ clos à caractériser des oppositions ou des déséquilibres. Il suffit d'écouter Aristote quand il déclare doctement dans sa Politique "Les nations situées dans les régions froides, et particulièrement les nations européennes, sont pleines de courage mais manquent plut&t d'intelligence et de technologie, c'est pourquoi elles sont impuissantes à exercer leur suprématie sur leurs voisins ... Au contraire les nations orientates ont (intelligence et l'esprit de technique mais elles n'ont aucun courage et vivent dans une sujétion et un esclavage continuels". N'est-ce pas un grand débat qui est ainsi ouvert et qui nous montre que ce que nous nommons le déséquilibre Nord-Sud était déjà semi, mais senti comme de sens inverse.

 

Ce n'est pas comme un aimable paradoxe que je rappelais cette phrase d'Aristote, mais plus que la relativité de ces constats, c'est leur permanence que je voulais souligner, la permanence absolue de ce regard jeté sur autrui qui n'a jamais désarmé tout au cours des siècles. Il joue un rôle essentiel même dans les nations les plus refermées sur elles-mêmes. Il nest jamais neutre et, même s'il se veut objectif, jamais indifférent. Il est étroitement complémentaire, selon des modalités complexes, du regard que fon jette sur soi-même. C'est assez dire qu'il est à sa manière fexpressiori d'ûne culture, partie intégrante, militante même de cette' culture. Il n'est pâs une démarche spéculative mais déjà un comportement. Etudier notre propre regard, celui que nous jetons sur les autres, leur conduite et leurs produits, découvrir les images toutes prêtes dont il est chargé, c'est déjà nous permettre une meilleure ouverture sur autrui.

 

Reste encore à dissiper cette opacité qui fait toujours de la culture de l'autre, un objet de curiosité, donc un objet pur et simple, un décor comme le suggère cette expression si révélatrice de couleur locale. La comprendre de fintérieur, ou tout au moins sentir en quoi elle est porteuse de vie, rechercher les moyens par lesquels on pent le faire sentir à d'autres, c'est probablement une des tâches les plus importantes de notre temps, car ce n'est pas seulement supprimer un obstacle, c'est transformer en médiation ce qui risquait d'être une résistance. Rien ne saurait être un meilleur vecteur pour une culture qu'une autre culture sitôt que fon a pu désarmer les méfiances.

 

C'est ainsi que se sont toujours transmis, les connaissances et le savoir, même aux temps où la communication se faisait par la mobilité des hommes.

 

Ce n'est d'ailleurs qu'au prix dune interculturalité ouverte, active et respectueuse, qu'une culture pent revérifier son propre terreau. Mais cette interculturalité n'a de valeur que si les tenants dune culture sont profondément liés à un terreau culturel, dont la langue et la spiritualité sont deux importantes composantes.

 

L'apport de la culture arabo-musulmane à l'Europe, s'est fait sur la base de cette interculturalité et nous trouvant en terre arabe, il serait de bonne grâce de rappeler la contribution inestimable des scientifiques arabes à la renaissance européenne et aux avancées du savoir et des connaissances universels.

 

L'algèbre et le système décimal arabes ont révolutionné les connaissances mathématiques. Le zéro a été pent-être deviné en Orient, mais c'est en occident arabe qu'il a vu le jour, les alchimistes arabes ont posé la divisibilité de l'atome, atomos que les grecs pensaient indivisible. La médecine a connu des progrès extraordinaires, fastronomie, l'optique géométrique et bien d'autres domaines ont été conquis.

 

Ce bouillonnement a aussi eu pour effet de faire des hommes tel qu'Ibn Rochd, méditerranéen par excellence, dispensant leurs connaissances apt Nord comme au Sud sans distinction.

 

Pour en revenir à ce problème d'image que nous faisons de la culture de l'autre, pour notre part nous ne considérons pas les pays dû Nord comme des adversaires; nous les voyons plutôt comme des partenaires; ~ même si nos relations sont déséquilibrées. Les conséquences de ce déséquilibre sont présentes Bans toutes les dimensions de notre existence. Je voudrais mettre ici (accent sur le fait que la manière la plus efficace de sortir de cette situation est d'examiner avec coin les causes culturelles auxquelles elle est due. Il s'agit là sans nul doute dune condition a priori pour félaboration de politiques et de solutions appropriées. Ce n'est pas un processus à court terme, mais un processus qu'il importe de suivre avec constance et détermination. Nous nous rendons bien compte que les perceptions et les valeurs culturelles ne peuvent être transformées en un jour. Mais plus tôt nous attacherons à cette question l'importance qu'elle mérite, mieux cela vaudra pour nous tous.

 

A cet égard, je voudrais insister sur un aspect culturel bien précis, à savoir (image des peuples du Tiers Monde en général, et ceux du sud en particulier, que véhiculent les média occidentaux. Les images fausses et les stéréotypes y constituent plus la règle que l’exception. La course effrénée à l'audimat et le langage des médias de masse; certes, laissent peu de place pour les analyses fouillées, mais en véhiculant constamment ces stéréotypes, ils impriment de fausses images au plus profond de la conscience occidentale. L'irresponsabilité, la paresse, la versatilité constituent ainsi (image culturelle des gens du Tiers Monde. On insiste indûment sur des excès individuels de richesse ou de comportement, tout en laissant de côté, en revanche, les réussites actuelles ou passées. Il nest donc guère surprenant que ces ~ attitudes populaires se reflètent de façon subtile dans les politiques nationales vis-à-vis du Tiers Monde. Les appels au changement d'un "système économique international inégal" sont mis de côté à grand renfort de raisonnement subtil et de politesses verbales, mais le discours sous-jacent pourrait être "qu'ils travaillent davantage, et la situation s'améliorera", ou même "ce qu'ils veulent, c'est tout avoir sans rien dormer en échange". Rien en fait ne saurait être plus éloigné de la vérité que ce genre de discours.

 

Il serait bon sur ce point de méditer ce que l'historien afro-arabe Ibn Khaldoun, qui, vivant en Espagne, avait également des liens étroits avec (Europe, a écrit dans son ouvrage monumental "La Mûquaddimah" ou "Introduction à fhistoire"

"Si fâme est infectée de sectarisme, à cause dune opinion ou dune secte particulière, elle se met à accepter sans la moindre hésitation toute information qui lui est agréable. Les préjugés et le sectarisme obscurcissent le sens critique et empêchent toute investigation critique. Le résultat est que l'on accepte et que l'on transmet des mensonges".

 

Si ce diagnostic est url peu brutal, c'est qu'il est motivé par an désir sincère d'essayer de poser clairement les questions. Et, en ces temps difficiles, la franchise et la discussion honnête fondée sur le respect mutuel doivent être vues, surtout chez les intellectuels, comme des valeurs solides`. Je ne veux pas en rester plus longtemps au passé ou à la situation présente. Mon propos est de chercher et de mettre en oeuvre les voies d'un avenir meilleur, qui puisse bénéficier de l'expérience passée et qui s'appuie sur une concertation avec nos arms. A cet égard, je crois qu'il nous faut oeuvrer ensemble afro de promouvoir des liens meilleurs et plus forts dans l'avenir.

 

Je voudrais mettre un accent particulier sur trois domaines spécifiques qui pourraient éventuellement servir de cadre aux actions communes auxquelles nous pouvons penser.

Je crois en premier lieu que le problème des images culturelles doit faire l'objet d'études de la part dune équipe multidisciplinaire et multinationale, dans la mesure où il s'agit de la pierre d'achoppement principale pour une coopération véritable et authentique. Il convient qu'un effort d'envergure soit accompli à cet égard par des équipes dynamiques, qui analysent en profondeur la manière dont ces images se forment, comment elles se transmettent et comment on peut les corriger. Je crois que la participation, aussi bien que le champ couvert par ces études, devraient être aussi larges que possible. Pourraient notamment y contribué éducateurs, spécialistes des média, psychologues, sociologues et décideurs. Il est à espérer que ces études déboucheraient sur des recommandations spécifiques qui auraient pour but d'améliorer (image que nous aeons les uns des autres. On ne saurait trop insister sur la nécessité d'un effort de ce type.

 

En second lieu, une étude des perspectives d'avenir qui s'offrent pour le bassin méditerranéen, entreprise du point de vue de chacune des sous-régions concernées, mais sur une base commune, se justifie pléinement. I1 existe sans doute des études de prospective portant sur fénsemble du monde ou sur une région spécifique. Mais nous aeons grand besoin d'étudier en commun, grâce à une participation effective des capacités propres de nos régions, les choix et les voies qui s'offrent à noun d'un point de vue économique, social et technologique.

 

Un cadre temporel possible serait de choisir comme thème lei quinze ou vingt prochaines annéés. Il reste à espérer, là encore, qu'une telle étude intégrera les résultats d'autres projets entrepris sous fégide d'autres rencontres et qu'elle prouvera qu'une coopération équitable est possible.

 

Je crois, en troisième lieu, que la rapidité des changements scientifiques et techniques dont nous sommes témoins nécessite que nous les examinions en commun, dans la mesure où ces transformations sont en passe de modifier les structures économiques et sociales existantes, et cela très largement. Cette transformation rapide pent se révéler porteuse d'espoirs et de progrès ; elle pent, hélas, si l'on en use mal, conduire au résultat opposé. De plus, je pense que certains domaines précis d'intérêt commun, que ce soit pour l'énergie, l'agriculture ou l'environnement, pourraient faire l'objet d'études conjointes, qui s'appuieraient sur 1es ressources humaines, technologiques et institutionnelles actuellement disponibles daps nos régions. L'échange de ce savoir faire technique ne pourrait qu'engendrer de la bonne volonté et renforcer les sentiments de coopération.

Enfin c'est une vérité de la sagesse populaire que l'on a principalement de commun ce que l'on a fait en commun. C'est donc vers ce type de projets que doit aussi se trouver notre attention ; que serait-il souhaitable d'entreprendre ensemble pour rapprocher les hommes de culture et les hommes de science de nos régions ? Le choix des domaines par exemple où serait amorcée une étroite coopération et où seraient formés en commun des chercheurs est un pari.

 

Il convient qu'il s'agisse de secteurs d'avenir et situés au coeur du développement futur afin que ces équipes communes soient le creuset dune nouvelle forme de collaboration et le foyer dune sorte d'universalité.

 

Ce pari, je veux pour ma part le lancer aux universitaires et à tous les intellectuels méditerranéens de naissance ou de coeur. Je pense qu'ils sont à même de le relever, il suffirait qu'ils prennent réellement conscience de leur mission.

 

La coopération universitaire entre le Nord et le Sud de la Méditerranée, doit être orientée d'un commun accord' autant dans le dômaine culturel que dans le domaine économique.

 

La contribution de l'université à la promotion dune culture consiste à la mise en rapport de cette culture avec les autres cultures au sein d'un universel, c'est en ce sens que pourrait être abordé la coopération universitaire nord-sud.

 

            Comme je proposais d'étudier notre propre regard, pour nous

            permettre une meilleure ouverture sur autrui, je préconise de s'efforcer de

            comprendre sa propre culture en la comparant dans différents domaines à

            d'autres cultures en tentant de faire paraître non seulement les différencés

            mais aussi, les parentés, les structures identiques et aboutir ainsi à l'universel.

 

Au niveau culturel l'incitation à la mobilité des jeunes du Nord vers les pays du Sud, peut grandement contribuer à résoudre le problème d'image culturelle déformée et déformante véhiculée dans les média de masse du Nord, mais aussi contribuer à tisser autour de la Méditerranée des relations simplement humaines qui contribueraient à leur tour à faire de cet espace un havre de paix et de prospérité partagée.

Le 30 septembre les Ministres de l'Education des quinze pays enropéens se sont réunis pour ainsi qu'ils font déclaré "mettre nos jeunes sur les routes" dans un "plan d'action" de quarante trois mesures. Ces déclarations d'intention devraient se concrétiser lors dune réunion les 7 et 8 décembres à Nice à l'occasion du conseil des chefs d'Etats et de Gouvernement par "un engagement politique pour affirmer le droit de tout étudiant à étudier à fétranger".

 

Un grand quotidien français(*) titrait "Revenir au Moyen Age, âge d'or... pour la mobilité des étudiants en Europe : telle est l'ambition des ministres de (Education de (Union Européenne", fin de citation.

 

Nous revoici en fan 2000, au coeur de l'europe moderne, au temps de l'internet et de la communication instantannée, en train de préconiser la mobilité des jeunes comme au temps d'Ibn Rochd.

 

Les ministres et la Commissar Européenne à l'Education ont bien spécifié qu'il s'agissait avant tout dune affaire politique.

 

Nous en espérons autant envers le sud.

 

Il est entendu que c'est dans un esprit de solidarité méditerranéenne que cette vision de la coopération est envisagée.