Message de S.M. le Roi aux participants du 4e Forum Global
S.M. le Roi Mohammed VI a adressé un
message aux participants au 4e Forum Global sur la réinvention du rôle de
l'Etat, organisé du 11 au 13 décembre à Marrakech par le gouvernement marocain
en partenariat avec l'ONU et en collaboration avec la Banque mondiale, sous le
thème «Citoyens, entreprises et Etat: dialogue et partenariats pour la
promotion de la démocratie et du développement».
Voici le texte intégral du message Royal dont lecture a été donnée,
mercredi en fin d'après-midi par le Premier ministre, M. Driss Jettou : «Louange à Dieu, prière et salut sur le
Prophète, Sa Famille et Ses Compagnons Excellences, Mesdames et Messieurs,
Le Royaume du Maroc se réjouit d'accueillir à Marrakech les travaux de la
4e édition du Forum Global sur la réinvention du rôle de l'Etat, après
Washington en 1999, Brasilia en 2000 et Naples en 2001, qui est consacrée à la
réflexion sur des questions stratégiques pour l'avenir de l'humanité.
En souhaitant aux honorables participants la bienvenue dans notre pays, qui a
toujours été et demeure une terre d'hospitalité, de tolérance et d'ouverture,
Nous voudrions exprimer notre foi profonde et notre entière adhésion aux idées
et aux objectifs, qui ont conduit les promoteurs du Forum Global à initier ce
type de rencontres internationales depuis 1999.
Est-il besoin de rappeler, en effet, les défis majeurs auxquels les peuples et
les Etats du monde sont confrontés. Est-il nécessaire de s'appesantir sur les
grandes mutations qui ont changé la face de la planète à l'aube du 3e
millénaire ? Ces nouvelles réalités imposent aux gouvernements de réfléchir sur
d'autres types de gouvernances interne et internationale.
Le monde, aujourd'hui, est confronté à de graves fractures et à de
dangereux déséquilibres, malgré les immenses progrès accomplis sur les terrains
notamment du développement, du savoir, de la technologie, de l'économie ou de
la communication. La plus dangereuse des fractures est celle que représente la
violence qui secoue la planète et divise l'humanité. La fin de la guerre froide
n'a pas fait taire les armes et n'a pas enterré les vieux démons de la guerre.
Aux conflits traditionnels se sont ajoutées en effet de nouvelles formes de
guerres ouvertes ou larvées, de conflits ethniques, de guerres civiles, de
terrorisme, qui se nourrissent de motifs qu'on croyait révolus, tirés des
différences ethniques, de soi-disant chocs de civilisations ou de prosélytismes
religieux abusifs.
Une autre fracture mondiale est constituée par l'immense écart entre
l'hémisphère nord et l'hémisphère sud et par le développement inégal de la
planète. Cette fracture économique entre le monde riche et le monde pauvre est
aggravée par l'immense déséquilibre démographique, qui étend dans les pays sous-développés
le territoire de la pauvreté et de l'exclusion, alimente le sentiment
d'injustice et d'insolidarité et accélère les courants d'immigrations qui
traversent la planète. Les écarts technologiques qui continuent à s'accentuer
creusent davantage la fracture et nourrissent la spirale des déséquilibres
économiques et sociaux. La planète est aussi sujette à une autre fracture, qui
touche l'intégrité du milieu naturel. La conscience internationale autour des
graves dangers qui menacent l'environnement, se développe avec lenteur. De
nombreux intérêts subjectifs et d'enjeux mondiaux continuent à faire obstacle à
la mise en œuvre des mesures qu'appelle une gestion intelligente et durable de
l'équilibre naturel, dans l'intérêt bien compris des générations actuelles et
futures.
Face à ces grands défis, le monde de ce début du 3e millénaire affiche des
formes inédites et subit des transformations profondes. Les formes d'Etats du
siècle qui vient de s'achever, les enjeux stratégiques, les espaces économiques
où les mouvements du commerce et des capitaux, ne sont plus ce qu'ils étaient
encore à la veille du 21e siècle.
Le transnational a supplanté le national; le marché mondial a succédé aux
zones traditionnelles de commerce régional, les frontières douanières ne
résistent plus aux mouvements planétaires des capitaux et des marchandises, les
méga-entreprises, les fusions transnationales des grands groupes ont transformé
la physionomie de l'économie mondiale. La mondialisation impose aux Etats de
nouveaux rythmes, aux entreprises des degrés élevés de compétitivité, aux
peuples de nouveaux challenges, aux plus défavorisés de la planète des horizons
plus sombres.
A l'ombre de ces grands bouleversements, la situation des pays sous-développés
prend des formes alarmantes. Confrontés à de graves défis, imposés par le
nouvel ordre interne et international, les Etats du tiers-monde doivent
surmonter des défis de moins en moins à leur portée.
Sujets à de graves problèmes internes, de poussée démographique structurelle, de
sous-développement économique, social et culturel, de surendettement,
d'instabilité politique, de paupérisation, ils doivent affronter à l'échelon
international les nouveaux termes de plus en plus défavorables des échanges, de
la compétitivité et de l'accessibilité aux marchés et à la technologie.
La réalité du monde d'aujourd'hui n'est pas faite, fort heureusement, que de
fractures, de déséquilibres et de désespoirs. Elle est aussi faite de progrès
considérables. Entre autres, ceux des technologies de la communication qui ont
rapproché la planète et domestiqué le temps et l'espace; ceux de la médecine
qui ont permis d'allonger le cycle de la vie et de vaincre la souffrance. Elle
est aussi faite d'espoirs; ceux que permettent les élans de générosité, les
aides au développement, les mouvements de soutien et de lutte contre la
précarité; les initiatives de rapprochement entre les peuples et les
civilisations ou les réseaux de solidarité internationale. Ils sont le fait de
plusieurs Etats et Organisations et d'un nombre considérable d'ONG et
d'Associations spécialisées ou caritatives présentes partout dans le monde pour
combattre la souffrance, la violence, l'exclusion, la maladie ou la pauvreté.
Il n'est pas besoin de rappeler qu'il faut réinventer l'Etat, comme nous y
invitent les réflexions du Forum Global, mettre en œuvre de nouvelles formes de
gouvernance pour nous adapter aux conditions de notre temps. Les éditions
précédentes du Forum Global tenues aux Etats-Unis, au Brésil et en Italie ont
édifié les promoteurs de ce dialogue et les participants sur la nécessité de
mettre en œuvre de nouveaux modes de gouvernance, sur le renforcement de l'Etat
démocratique comme moyen incontournable de gouvernance au 21e siècle, ou encore
sur la mobilisation des nouvelles technologies au service de la démocratie et
du développement.
Le 4ème Forum Global a choisi avec pertinence le thème «Citoyens, entreprises
et Etats: dialogues et partenariats pour la promotion de la démocratie et du
développement». Ce thème est indiscutablement au cœur de la réflexion sur les
nouvelles formes de l'Etat, sur les nouvelles formes de gouvernance. Il n'est
pas nécessaire de revenir sur les mutations de l'Etat moderne, sur les
transformations qu'il a subies et qu'il continuera à connaître à l'ombre de
l'évolution interne et internationale.
Une littérature abondante a, depuis quelques décennies, convaincu sur la
nécessité du «moins d'Etat» et du «mieux d'Etat», et sur l'impératif,
aujourd'hui largement entendu à l'échelon mondial, de l'abandon par les Etats
de larges territoires à l'initiative privée, voire à la société civile, et du
repli stratégique sur les fonctions régaliennes et les missions de régulation
économique et sociale.
Dans un mouvement inversement proportionnel, les nouveaux acteurs que sont les
entreprises imposent aujourd'hui leur puissance économique, technologique ou
capitalistique à l'échelle nationale et mondiale.
Enfin, est-il besoin de dire que la gouvernance moderne ne se conçoit plus
sans dialogue et sans implication étroite des citoyens? La gouvernance
contemporaine n'est pas concevable en effet sans démocratie, le progrès
économique et social sans participation, le développement sans liberté et sans
respect des droits humains. Si chacun de ces acteurs - l'Etat, l'entreprise et
la société civile - a un rôle important à tenir dans la société du futur, c'est
de la façon dont ces rôles seront compris, joués et surtout intégrés, que
dépendra l'efficacité de la nouvelle gouvernance, dans les domaines de la
démocratie, du développement économique et du progrès social. Les organisateurs
du 4e Forum Global, en nous invitant à cette réflexion, ont certainement bien
conscience : d'une part, de l'impossibilité de faire l'économie de ce
partenariat triangulaire, sans hypothéquer l'avenir des peuples; d'autre part,
du gisement d'opportunités et de valeurs que peut produire une gouvernance
fondée sur le dialogue et le partenariat entre l'Etat, les entreprises et les
citoyens, comme incubateurs de la démocratie et du développement. Le dialogue
«Etat, entreprises, citoyens» devrait, à l'échelon mondial, fournir un nouveau
souffle, inspirer des alternatives et déboucher sur des voies et moyens
nouveaux devant conduire à un monde plus juste, plus solidaire, à une humanité
plus soudée, à une planète mieux protégée. Comment arrêter le cycle de la
violence, éteindre les conflits, réconcilier les civilisations, respecter les
différences raciales, religieuses ou linguistiques, réduire les fractures
économiques et sociales, éliminer la pauvreté et l'ignorance, combattre les
exclusions, le terrorisme, la criminalité, réaliser une mondialisation à visage
humain protéger la nature et garantir le développement durable...? Il est
désormais largement admis que ce type de questions stratégiques ne peut plus
continuer à être le monopole des Etats à l'échelon régional ou mondial. Il ne
sied plus en effet de confiner les entreprises dans le seul territoire de
l'économie, sachant la corrélation étroite qui existe entre l'économique, le
politique, le social, le culturel, voire le cultuel. Les sociétés civiles ont,
pour leur part, plus que jamais, leur mot à dire et leur rôle à jouer pour
contribuer au triomphe des idéaux de paix, de justice et de solidarité
mondiale.
Le Maroc, fidèle à une longue tradition historique, faite d'attachement à ses
valeurs authentiques profondes et d'ouverture permanente sur le monde, suit
avec intérêt et s'inspire des idées et des courants qui traversent la planète.
Confronté aux mêmes défis, relevant les mêmes challenges que la plupart des
pays de même niveau, il aspire à emprunter les meilleures voies qui assurent la
liberté, la dignité et les droits de l'homme, qui garantissent l'exercice de la
démocratie et de la participation, qui favorisent le développement et qui
répandent la paix et la solidarité. Dans notre pays, sur le modèle de beaucoup
d'autres nations, Nous avons, avec conscience et détermination, entamé le
redéploiement de l'Etat, renforcé la démocratie, promu la décentralisation,
engagé la libéralisation de l'économie, privilégié les approches
participatives, libéré les initiatives associatives, encouragé les partenariats
public-privé et public-société civile. Beaucoup de chemin reste encore à faire
pour épuiser les gisements d'opportunités politiques, démocratiques, économiques
et sociales qu'offrent ces nouvelles formes de gouvernance. Le Forum de
Marrakech nous fournira certainement l'occasion de partager nos expériences
dans ce domaine avec celles des pays et des organisations représentées. Il nous
permettra aussi d'explorer des voies alternatives et, peut-être, de déboucher
sur des solutions innovantes. L'importance et la qualité des délégations
présentes à ce 4e Forum Global à Marrakech permettront, j'en suis persuadé,
d'assurer la réussite à ses travaux et d'enrichir la réflexion sur les
questions stratégiques qui y seront débattues, au mieux des intérêts et de
l'avenir de nos Etats et de nos peuples. En vous renouvelant nos vœux de
bienvenue et en exprimant aux organisateurs nos marques de profonde
considération, nous souhaitons plein succès à vos travaux».